Sexisme dans nos sociétés occidentales
Par Aquilegia le vendredi, 4 mars 2016, 23:34 - Société - Lien permanent
Il y a quelques semaines, on m'a demandé quelques ressources biblio sur le sexisme en occident (sous-entendu : il y a des pays où les droits des femmes sont très menacés, voire même carrément inexistants, mais en Occident, oh, non, l'égalité est acquise, hein? Ben non en fait.) Voilà donc une toute petite mini revue sur quelques thèmes variés comme le poids des stéréotypes de genre sur le monde du travail, les violences faites aux femmes ou le sexisme dans les média. Ce sera ma contribution à la journée internationnale du droit des femmes cette année. Enjoy.
Bien entendu, je ne m'attarderai pas sur les soucis des femmes dans des pays où personne ne se cache de piétiner leurs droits. Je ne me pencherai que sur le cas de nos sociétés occidentales, où le féminisme a déjà permis de grandes avancées, bien qu'il reste encore énormément à faire. On peut lister un certain nombre de problèmes qui ouvrent sur des problématiques profondes. Je ne prétends pas en faire le tour, juste les effleurer. Concernant la bibliographie, j'en mets une partie, mais c'est un choix très restreint par rapport à ce qui est disponible.
- Le poids des stéréotypes de genre sur le monde du travail : derrière le fameux chiffre de environ 20% d'inégalités salariales en France (16% en Suisse - références de l'observatoire des inégalités pour la France et de l'office de la statistiques pour la Suisse plus bas) se cachent deux problématiques : la sous-représentation des femmes dans certains postes et la dévaluation de leur travail et la question du salaire à travail égal.
Sous représentation des femmes et dévaluation de leur travail:
Il existe un biais de jugement inconscient et général sur les compétences et le travail des femmes, y compris dans le milieu académique, ce qui conduit à une dévaluation de leurs capacités et réalisations ( http://www.pnas.org/content/111/12/4403.abstract , http://www.cs.utexas.edu/users/mckinley/notes/ww-nature-1997.pdf ). Cela a un même impact sur l'embauche des femmes dans certaines académies, ou pour choisir des collaborateurs dans des projets. L'opinion publique juge également les femmes moins aptes que les hommes à remplir les fonctions scientifiques et ne se rendent pas compte qu'elles y sont sous-représentées, quels que soient les pays.
De manière générale, le travail des femmes est dévalué quand elles deviennent des leaders, particulièrement fortement dans des domaines considérés comme masculins.
Cet état de faits contribue à les empêcher de gravir les échelons, alors que le leadership est aussi un attribut féminin.
En réalité, le sexisme et les stéréoptypes de genre peuvent être un poids à toutes les étapes de l'éducation des femmes, du début de la scolarité aux plus hauts postes académiques.
Le sexisme est présent dès les manuels de petite école, encore en de nos jours. Même si la situation a bien dû s'améliorer depuis 1974 et une certaine interview de Simone de Beauvoir elle reste encore très déficiente pour une société dite "égalitaire".
Le sexisme est parfois une raison clairement explicite de quitter ses études, mais la plupart du temps, ce sont des mécanismes inconscients qui sont à l’œuvre. Les préjugés comme "les filles sont moins bonnes en maths, les garçons moins bons en expression" sont auto-réalisatrice selon des mécanismes maintenant bien connus, comme mis en évidence par ces chercheurs de l'université de Provence.
Une fois que l'on a compris à quel point les préjugés ont un poids psychologique, il devient raisonnable de penser qu'il nous affecte dans de nombreuses situations de la vie courante. C'est un problème profond qui justifie à lui seul de questionner les stéréotypes sans relâche.
À travail égal, salaire inégal:
L'office de la statistique suisse et l'observatoire des inégalité en France montrent que toutes choses égales par ailleurs (notamment en considérant le temps de travail égal), il reste entre 8 et 10% d'inégalité salariales. Ces chiffres varient très certainement d'un pays à l'autre. Ces inégalités sont présentes dans le privé comme dans le public.
- androcentrisme de la recherche en anthropologie
L'impact de ce système de perception des genres et de leurs rôle a eu et a encore une influence non seulement sur la façon dont les femmes et leur travail sont perçues aujourd'hui, mais également le contenu des savoirs. Ainsi, les travaux d'anthropologie du début du siècle dernier étaient réalisés au travers de ce prisme nommé "androcentrisme" - je ne mets cette source qu'une fois, mais j'aurais pu la cité à d'autres moments car elle aborde plusieurs sujets - et le travail des féministes qui ont commencé à réaliser des études sur le genre a été déterminant dans la perception des sociétés actuelles et passées.
Un exemple idiot : n'importe quel squelette trouvé dans une tombe avec des armes était étiqueté "homme" dans les musées. Or l'ADN vient parfois contredire les idées les mieux établies.
- violences :
La violence domestique tue beaucoup plus de femmes que d'hommes . Ces violences sont systématiquement minimisées en "crimes passionnels" dans les média, ce qui tend à les assimiler à des faits divers anecdotiques alors qu'elles sont plus clairement le fruit d'une culture et méritent un terme précis, qui a été adopté dans plusieurs pays d'Amérique du Sud où le problème est encore plus dramatique : le féminicide (tuer une femme parce que c'en est une).
Les viols touchent davantage les femmes que les hommes. Il est raisonnable de penser que ces chiffres sont sous-estimés, puisque le viol engendre une honte qui conduit les victimes à ne pas forcément porter plainte. Cette honte est encore plus grande chez les hommes. Il est intéressant de noter que l'ensemble est dû à un système de pensée général sur les rôles des genres dont pâtissent les victimes hommes comme les victimes femmes et qui de surcroît induit une "culture du viol" qui conduit entre autres à victimiser les agresseurs. Une enquête récente a montré qu'en France, entre autres, 40% des gens pensent que si la victime a eu une attitude provocante, cela diminue la responsabilité du violeur, 27% des gens pensent qu'une jupe courte diminue la responsabilité du violeur, 21% pensent qu'il n'y a pas de viol si la victime finit par céder quand on la force ou 17% pensent qu'on peut forcer sa conjointe sans que ce soit un viol.
Ces violences, qui incluent également le harcèlement de rue, largement nié/diminué par les média jusqu'à la publication de vidéos en caméra cachée (là non plus, les choses n'ont pas assez évolué depuis l'interview de Simone de Beauvoir) ont des conséquences sur la vie de tout les jours, l'occupation de l'espace public etc (rapport sur les violences faites aux femmes en Île de France et leurs impacts. Ces notions commencent à peine à être prises en compte par des urbanistes.
Là aussi, de gros progrès restent à faire pour que les femmes puissent reconquérir l'espace urbain et moins risquer leur vie.
- sexisme dans les média :
De manière générale, en France, les femmes apparaissent moins, sont moins citées en tant qu'expertes, apparaissent moins dans l'exercice de leur fonction mais davantage dans les fonctions familiales, comme témoins ou victimes. Ailleurs aussi.
D'après le rapport de l'institut Geena Davis sur 11 pays, il y a une grande disparité de représentation entre les hommes et les femmes au cinéma (nombre d'apparition mais aussi type de personnages (parlants ou non, protagonistes ou non etc)). Il suffit de la présence d'une seule femme à la réalisation ou au scénario pour améliorer la parité des représentations. Or, le rapport Bunche souligne que 94% des réals d'Hollywood et 87% des scénaristes sont des hommes.
Une fois ce tableau général posé, ce qui est important, c'est l'influence de ces représentations sur le comportement des gens, que l'on parle des média en général (http://www.udel.edu/comm245/readings/GenderedMedia.pdf , http://www.egalite.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/sites/sdec/upload/sdec_super_editor/sdec_editor/documents/medias/Rapport_final_-__Etude_stereotypes_sexistes_jeunes_et_medias_-_2007_-_public.pdf&hash=a44678c8d23a4cef63745f5f83ea2074fec922ea ), ou des jeux vidéo chez les jeunes. Les représentations genrées des média influent notamment la construction des jeunes, dont leur choix d'orientation ( http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article215 , https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/738838/filename/thA_se-BIGEON.pdf ).
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Voilà, c'est un tout petit tour, pas du tout exhaustif, de quelques problèmes que causent le sexisme et les stéréotypes de genre dans nos sociétés, et contre lesquels œuvrent les féministes d'aujourd'hui.
Le soucis de tout cela, outre chaque problème pris pour lui même, est que cela met en évidence l'existence d'un système de pensée qui réduit les hommes et les femmes à des rôles et des compétences arbitraires et réduit leurs perceptions d'eux-mêmes et de leurs capacités (ex : la sous-estimation des capacités physiques des femmes par rapport aux hommes.
L'étude des effets du genre sur nos perceptions est un champ de recherche à part entière, les fameuses études de genre (récapitulatif sur les apports des études de genre : ). Il y a des revues de recherche entières, consacrées à ce type de sujet.
Bref, le phénomène qu'on appelle patriarcat est souvent nié, voire approuvé par des dominants (une partie des hommes, pas tous) qui comptent le rester et résistent plus ou moins fortement. On en a retrouvé par centaines de milliers en France lors des pathétiques "manifs pour tous", brandissant des pancartes comme celle-ci. Donc, oui, il y a encore besoin du féminisme en occident.