Il était une fois un petit pigeon nommé Iaxo. Il vivait
dans une volière haute, dans un petit jardin de Lamorlaye, avec
son meilleur ami Ulysse.
Iaxo et Ulysse s'entendaient à merveille. Le jour, leurs
serviteurs leur ouvraient la porte de la volière, et ils
pouvaient vadrouiller à leur aise dans leur jardin (qui
était bien plus grand que celui de leurs serviteurs).
Ils y vécurent heureux, jusqu'à ce qu'Ulysse, qui
était pourtant le plus familier avec les serviteurs,
décide de ne plus revenir. Fut il tué, trouva-t-il un
meilleur logis ailleurs? Personne ne le sait.
Toujours est-il que Iaxo se retrouva seul, pour la plus grande peine de
ses serviteurs, qui se mirent en quête d'une compagne pour lui.
Au bout de quelques temps, les serviteurs présentèrent
à Iaxo un joli pigeon mâle herminé (qu'ils avaient
appellé Hermine), en lui disant que c'était sa nouvelle
compagne. L'individu s'appropria manu militari une des deux
boîtes à nid, et n'eut de cesse de revendiquer le plus
grand territoire possible.
Enfermés, Iaxo et Hermine se livrèrent une lutte
acharnée, chacun essayant d'annexer le territoire de l'autre. La
bataille dura des jours.
Lorsque les serviteurs décidèrent (enfin!) de rouvrir la
cage durant la journée, Hermine ne mit pas longtemps à
oublier de revenir.
De nouveau seul, Iaxo était toujours rongé d'une
lancinante envie de compagnie. Il passait ses journées loin de
son jardin et de sa volière, ne revenant parfois qu'un jour sur
deux.
Il sembla trouver dans les pigeonnes du voisinage une petite demoiselle
qui lui plût, mais lorsqu'il tenta de la ramener dans son jardin,
la nigaude eut si peur des serviteurs qu'elle jura de ne jamais y
remettre les pieds! (Il faut dire que Iaxo lui même avait
toujours (contrairement à Ulysse), gardé une distance
respectable avec le petit personnel).
Bref, Iaxo, de plus en plus tenaillé par ses hormones,
décida de ne plus revenir dans son jardin. Il y passait de temps
en temps, mais toujours hors de vue des serviteurs, et n'y dormait plus.
Aussi, quelle ne fut pas sa surprise quand, au bout de plusieurs
semaine, il découvrit une magnifique créature dans SA
volière!
Iaxo ne fit ni une ni deux, et revint se poser à la porte.
Aussitôt, les serviteurs accoururent, et la lui ouvrirent.
Iaxo n'en croyait pas ses yeux. Qu'elle était belle!
Blanche, avec la tête et la queue grise, les ailes
écaillées de noir et de gris, opulente, plus grosse que
lui même d'un bon tiers, ressemblant presque à une poule,
cette pigeonne était tout à fait son type!
Iaxo était aux anges.
Quand au bout de plusieurs jours ses serviteurs vinrent lui rouvrir la
volière, il s'envola sur la maison pour partager son territoire
avec la belle.
Mais là, stupeur!
La belle pigeonne, nommée Éclipse, ne savait pas voler!
Ou plutôt, elle fit bien une tentative, mais avec un bruit
d'hélicoptère, ne réussit pas à
s'élever de plus de cinquante centimètre!
Iaxo fit donc contre mauvaise fortune bon coeur, et arpenta avec elle
le jardin des serviteurs (puisqu'il ne pouvait aller plus loin),
à pattes.
Tous les jours, ils sortaient ensemble, et, tels deux
propriétaires terriens, se promenaient sur leur territoire (on
peut aussi dire "tels deux oies, pâturaient dans la pelouse",
mais c'est moins joli).
Mais Iaxo n'était jamais très à l'aise. Lui, ce
qu'il aimait, c'était monter sur le toit de la maison des
serviteurs, tout en haut, et se faire dorer par le soleil. La terrasse,
au ras du sol, c'était bien aussi, mais... avec les
prédateurs, on ne sait jamais, vous comprenez?
Iaxo entreprit donc d'apprendre à voler à sa belle épouse.
Il y avait, dans le jardin des serviteurs, un petit abri pour le bois,
qui était à mi-hauteur de la goutière du toit.
Iaxo s'en servit donc de perchoir intermédiaire pour inciter
Éclipse à le suivre. Inlassablement, il faisait des
allers-et-retours entre la pigeonne et le perchoir. Jusqu'à ce
qu'elle le suive.
Bien sûr, ce ne fut pas une réussite immédiate,
mais à force de percévérance, Iaxo finit par
obtenir ce qu'il voulait. D'un vol lourd et bruyant, Éclipse
finit par s'élever jusqu'au perchoir!
Iaxo ne s'arretta pas là. Le bûcher, c'était bien,
mais il voulait le faîte de la maison. Il entreprit donc,
toujours par des allers-et-retours incessants, de guider Éclipse
jusqu'à la gouttière.
Et cela lui prit plusieurs jours d'essais infructueux, au cours
desquels il fallait d'abord monter sur le bûcher, avant de faire
un essai), mais elle y parvint.
Puis de la goutière jusqu'au chien assis.
Et là, Iaxo crut qu'il avait gagné. Il s'envola, et fit
le tour de la maison. Mais revenu à son point de départ,
il était seul!
Éclipse avait bien tenté de le suivre, mais elle ne
savait faire que du vol en ligne droite, et avait raté son
dernier tournant, se retrouvant obligée d'atterrir en
catastrophe dans le jardin voisin!
Un des serviteurs dû alors retourner la chercher, et la ramener,
vexée comme un pou, pendue par les ailes, jusque dans la
volière, où Iaxo la rejoignit.
Peu importait, forte de ses nouvelles compétences,
Éclipse parvint bientôt à s'envoler sur le toit, et
à partager les bains de soleil de Iaxo.
Ils y passaient le plus clair de leur temps (parfois sur un toit
voisin, mais jamais bien loin - fini pour Iaxo le temps des vols au
long cours), profitant au maximum de leur existence de pigeons.
Ils entreprirent également de faire un nid, dans l'une des
boîtes prévues à cet effet, Iaxo collectant pour
Éclipse des brindilles de tuya et de paille, qu'elle arrangeait
en un nid rudimentaire.
Éclipse pondait des oeufs, et les couvait (du moins,
jusqu'à ce qu'un des serviteurs, constatant qu'ils
étaient clairs, ne les retire). Pourtant, Iaxo et Éclipse
n'eurent pas de petits ce printemps là, car Iaxo, trop petit par
rapport à sa compagne, s'il arrivait, avec force
difficultés, à l'escalader, ne parvenait jamais
à... vous comprenez, n'est ce pas?
Peut-être pour cette raison, ou peut être pour une autre,
Éclipse eu un jour l'idée d'examiner de nouveaux
emplacements pour un nid.
Sur une des maisons de serviteurs avoisinantes, elle avait
repéré un trou carré, protégé de la
pluie, qui semblait-t-il pourrait convenir.
Elle l'examina longuement, par bel après-midi ensoleillé, et y entra.
Elle n'en ressortit plus. Iaxo resta seul pendant de longues minutes,
attendant le retour de son épouse.
Désespérément, il scruta le fond du trou vertical,
mais ne voyait rien qu'un puit noir. La cheminée avait
avalé Éclipse.
Iaxo resta pendant longtemps sur le toit, regardant dans le trou,
attendant que quelque chose se passe, qu'Éclipse revienne... Et
quelque chose se passa.
Un des serviteurs sortit de la maison pour aller vers celle où
Éclipse avait disparu. Il y eu quelques allers-retours, un peu
de remue-ménage.
Et puis, un des serviteurs sortit en transportant Éclipse,
furieuse, pendue par les ailes, noire de suie, jusqu'à la maison.
Au crépuscule, Iaxo revint dans sa volière,
espérant toujours le retour de sa dulcinée, mais les
serviteurs remirent dans la volière une chose mouillée et
méconnaissable. Iaxo refusa qu'elle rentre dans le nid. Le
serviteur reprit la loque. Un bruit de sèche cheveux monta dans
le crépuscule, mais Éclipse ne revint, propre mais
ébourriffée, que le lendemain matin.
Iaxo et Éclipse vécurent des jours heureux pendant
plusieurs mois. Iaxo était toujours d'une tendre
prévenance vis à vis de son épouse. Il lui
décomposait en étapes les trajets trops difficiles, et
l'accompagnait partout.
Hélas... Un soir, les servieurs oublièrent de fermer la porte de la volière.
Éclipse fut retrouvée décapitée, ses plumes répandues un peu partout dans son jardin.
Quant à Iaxo, nul ne sut jamais ce qu'il devint.
Leur romance avait duré un an.