3 L'arbre du vivant
Forts de ces nouvelles connaissances, nous pouvons
réfléchir au vivant dans son ensemble.
Comment relier les êtres vivants entre eux? Qui est
apparenté? Qui est l'ancêtre de qui? Comment faire
pour
répondre à ces question?
3-1 Comment, d'une espèce, passer à
deux espèces, et qu'est ce qui les différencie?
Si vous avez suivi ce qui précède, vous pouvez
répondre à la question du titre.
Imaginez une population d'espèce A, qui se retrouve
isolée d'une population de la même espèce (isolée géographiquement, par exemple sur une
île
qui vient de se former, ou à cause d'une rivière,
d'une
éruption volcanique, ou d'une migration comme chez les
criquets).
Ces deux populations, sans contact, vont être soumises
à
des pressions de sélection différentes. Ne
serait-ce
qu'à cause du hasard de la dérive
génétique, leurs fréquences
alléliques vont
se modifier l'une par rapport à l'autre.
Et au bout d'un certain nombre de générations,
les
différences accumulées entre ces deux populations
seront
telles que les individus ne pourront plus se croiser, même si
on
les mélangeait de nouveau. Elles sont isolées
génétiquement : plus aucun allèle ne
peut passer d'une population à l'autre, il n'y a plus aucun
flux génétique.
Souvent, la mise en place de cet "isolement reproducteur" se
fait graduellement. L'hybridation est possible, mais difficile, puis
devient impossible. Mais parfois, une différence sur
quelques
gènes suffit à la rendre impossible
immédiatement.
Le phénomène d'apparition des espèces
se nomme
spéciation. Depuis l'apparition de la vie, les populations
se
séparent et se diversifient, les espèces
s'éloignent les unes des autres, formant un arbre partant
d'une
origine unique.
3-3 Pourquoi certaines espèces semblent n'avoir
pas changé depuis des millions d'années?
Si vous avez suivi, vous savez que des mutations se produisent tout le
temps. Vous savez aussi que les conditions environnementales
à la
surface du globe sont changeantes, et donc que les pressions de
sélection se modifient avec le temps.
Comment expliquer alors la présence des "fossiles vivants"
comme le coelacanthe?
La réponse est simple : les fossiles vivants n'existent pas.
Les
organismes ont changé, mais cela ne se voit pas
morphologiquement. Pourtant, il y a eu des mutations dans leur
génome (l'ensemble de leur information
génétique),
et des modifications des fréquences alléliques
entre la
population ancestrale et la population moderne.
Leur physiologie peut s'être modifiée, ou leur
métabolisme, mais ils ne sont pas resté
"figés"
dans le temps.
Si cela vous semble clair, vous pouvez maintenant comprendre
qu'il est faux de dire que l'homme descend du singe!!
Eh oui, le chimpanzé, que l'on utilise couramment pour illustrer cette
idée, est un animal actuel!
La phrase juste est donc : "l'homme est un singe (ou pour être
plus précis, un primate)", ou encore "l'homme a un ancêtre
commun avec le chimpanzé".
Et notre ancêtre commun avec le chimpanzéest très
récent, alors que celui que nous avons avec des espèces qui sont encore lus différentes de nous est plus éloigné dans le temps.
Par exemple, notre ancêtre commun avec le poisson rouge, est vieux
de plusieurs centaines de millions d'années. Et notre
ancêtre avec le brin d'herbe est plus vieux encore. Et notre
ancêtre avec les bactéries, il remonte aux origines de la
vie.
3-4 Comment dater les ancêtres?
On peut dater les fossiles, c'est une méthode efficace, fiable et qui a
fait ses preuves. Mais ce n'est pas cette méthode qui nous
intéresse aujourd'hui.
Comme vous avez pu le voir plus haut, la spéciation se
déroule toujours de la même manière :
une
population ancestrale, qui produit deux (ou plus) populations filles.
Comment les différentie-t-on? En analysant leur ADN. Dans le cas de populations proches, on
regarde dans les régions non codantes (entre les
gènes
par exemple), et, comme les mutations se produisent
régulièrement au cours du temps, et s'accumulent,
on peut dater le moment
de la divergence entre les deux populations!
Comment fait-on?
Pour cela, il faut trouver des séquences homologues (dérivées de la même séquence chez une espèce ancestrale), pour pouvoir les comparer.
Ensuite, on compte le nombre de différences entre ces
séquences. Et enfin, sachant
la fréquence des mutations (par
génération), on a
une idée du temps qu'il a fallu pour que toutes ces
différences s'accumulent.
C'est le principe général.
Bon, la réalité est un peu plus complexe... et
nécessite pas mal de calculs.
Bien entendu, on ne prendra pas le même type de
séquences si on
veut analyser des espèces proches que si on veut analyser
des
espèces éloignées.
Dans le premier cas, on prendra des séquences neutres, qui
accumulent en peu de temps beaucoup de mutations car elles ne sont pas
soumises à la sélection naturelle.
Cependant, si ces séquences ont divergé depuis longtemps, plusieurs mutations peuvent avoir eu lieu au même endroit.
exemple :
séquence ancestrale : ATTTCGCCGATATTATA
La même après quelques générations : ATTACCCTGCTATTTTA (5 mutations avec la précédente)
Toujours la même, encore plus tard: ATTTCTCTCCTATTCTA (4 mutations avec la précédente, mais 9 depuis l'ancêtre)
Ainsi, le calcul risque d'être faux si les organismes ont divergé depuis trop longtemps.
Dans ce cas (par exemple des espèces qui
ont
divergé il y a plusieurs centaines de millions
d'années),
on prendra donc des séquences très
sélectionnées. Il y a par exemple des
molécules
(comme les ribosomes) que l'on retrouve dans tous les êtres
vivants (ce qui est un des
arguments pour expliquer que TOUS les êtres vivants, les
animaux,
les plantes, les champignons, les bactéries etc.... on le
MÊME ancêtre commun). Elles ont servi à
élaborer l'Arbre du Vivant, car elles ne sont pas très différentes entre tous les êtres vivants : on peut donc les comparer.
Avec cette méthode, on peut aussi parfois (pas toujours) avoir une idée de
l'aspect ou de la physiologie de l'ancêtre. Ainsi, si une série d'espèces issues d'un ancêtre commun partagent toutes un certain caractère, sauf une, il est très probable que ce caractère ait été aussi porté par l'ancêtre (sinon, cela signifierait qu'une mutation identique a eu lieu plusieurs fois, ce qui est très improbable)..
Par exemple, l'ancêtre des girafes avait-il un long cou?
Les girafes sont des mammifères, qui ont
généralement un cou assez court. Si l'ancêtre
commun des mammifères avait eu un cou long, alors cela voudrait
dire que tous les mammifères à part les girafes ont perdu
cette caractéristique. L'inverse est infiniment plus probable!!
(sans compter que les fossiles des premiers mammifères n'ont pas
un cou très long.... ce qui confirme l'hypothèse du cou
ancestral court)
Nous avons vu que les
mutations étaient aléatoires. Il est aussi très rare d'en
trouver deux qui aient le même effet. On parle alors de
convergence : des causes différentes (mutations
différentes sur des gènes différents) conduisent
à des similarités morphologiques. Ainsi, les baleines,
qui sont des mammifères, ont une forme hydrodynamique comme les
poissons.
Cela peut conduire à une erreur d'interprêtation si on se limite à la morphologie, mais l'analyse génétique permettra de rectifier le tir, en constatant que les espèces que l'on croyait proches sont en réalité très différentes.
3-5 Il ressemble à quoi, cet arbre?
A ça, à peu de choses près (quelques détails de cet arbre sont déjà un petit peu obsolète concernant les eucaryotes, voir l'arbre donné plus bas).
L'arbre du vivant se compose de trois "domaines" : les êtres vivant
dont
l'ADN est enfermé dans un noyau, ou "eucaryotes", les
bactéries, et les archées.
Les archées sont des unicellulaires qui ressemblent
à des
bactéries. La plupart d'entre elles vivent dans des milieux
extrèmes : chauds, acides, ou salés. Il y en a
dans les
sources d'eau chaude, par exemple, ou dans... notre estomac.
Les eucaryotes sont divisés en règnes : les
animaux, les
champignons, les végétaux, et quelques autres
contenant
des organismes unicellulaires.
Et il faut savoir que les champignons sont classés plus
près des animaux que des végétaux,
justement suite
aux analyses génétiques.
Les découvertes récentes dans cette science nouvelle
qu'est la phylogénie, qui consiste à explorer les liens
exacts entre toutes les branches de l'arbre du vivant, ont
complètement bouleversé la conception traditionnelle de
cet arbre, en seulement une trentaine d'années.
Nous savons maintenant que des termes comme "reptiles", ou "algue",
n'ont pas de sens en phylogénie. En effet, si l'on prend les reptiles, il
faut y inclure les dinosaures... Mais comme les anlayses
génétiques ont également montré que les
oiseaux étaient les descendants actuels d'une famille de
dinosaures, cela signifie qu'il faut en toute logique inclure les
oiseaux dans les reptiles!
Un nouveau groupe a donc été créé, celui
des "archosauriens", pour désigner l'ensemble "reptiles+oiseaux".
Et l'homme?
L'homme est un animal, il vient donc se placer dans la branche des
eucaryotes, au niveau des mammifères, juste à
côté des chimpanzés, dans la branche des primates.
L'homme est une espèce qui,
comparée à d'autres, n'a pas beaucoup de
diversité génétique. D'une part, à cause de
cette faible variabilité, et d'autre part du fait des flux
migratoires, il est impossible de distinguer de
manière absolue une population d'une autre. On peut toujours
choisir un ou deux (ou dix) critères arbitraires, pour
essayer de classifier les populations humaines, mais si l'on en change,
on se rend compte que la classification a changé aussi.
En outre, beaucoup de ces caractères sont à
variation progressive (comme la couleur de la peau par exemple), ce qui
fait qu'il est impossible de faire un classement absolu).
Il est donc impossible de biologiquement catégoriser des
"races" humaines. Cela ne signifie pas que nous soyons tous identiques,
au contraire, mais qu'il n'y a pas de limite nette quand on
défini des populations.
Revenons à l'arbre du vivant. Il a donc une
échelle de temps : on part de
l'ancêtre, et on arrive aux espèces actuelles, qui
sont
toutes placées à égalité
sur la ligne du
présent.
Contrairement à ce que beaucoup d'entre nous ont appris
à
l'école, le vivant ne se représente pas sous
forme d'une
échelle, avec les "primitifs" en bas et les
"évolués" en haut (et l'homme au sommet).
Il y a les "ancestraux" dans le passé, et les
"dérivés" dans le présent (sachant que
certains
peuvent garder des caractères ancestraux... mais évitons
le terme "primitif, qui est péjoratif : ce n'est pas
parce
qu'un système est vieux qu'il est inefficace, ou qu'il ne l'a
pas été dans un contexte environnemental donné!!
Chaque organisme est adapté à son milieu à un
temps donné).
Vu cous cet angle, il n'existe pas d'organisme plus
"évolué" qu'un autre, car tout le monde a
disposé
du même temps d'évolution, l'homme, comme le
poisson
rouge, ou le brin d'herbe.
Résumé !
Nous avons donc vu que l'évolution des espèces ne
comprenait en tout et pour tout que quatre
phénomènes:
- les mutations, qui créent de la
diversité génétique
- la dérive génétique, qui
réduit aléatoirement cette diversité
- la sélection naturelle, qui réduit aussi la
diversité, mais cette fois en fonction de l'environnement
- la migration : les flux de gènes entre populations
permettent de réaugmenter une diversité perdue
par dérive ou sélection.
Il n'y a pas besoin d'autre chose pour expliquer l'évolution
du vivant dans le sens où ces mécanismes conjugués sont capables
d'entraîner les phénomènes macro-évolutifs
comme la spéciation ou les extinctions.
Grâce à l'étude de ces mécanismes, on peut construire des arbres pour
représenter les
degrés d'apparentement entre espèces. En
connaissant le rythme des mutations, on peut même calculer
l'âge de l'ancêtre de deux espèces.
3-5 L'évolution dans le temps.
Nous avons pu voir quelles étaient les quatre moteurs de l'évolution.
Mais combien de temps cela prend-t-il, la spéciation, la
différentiation des espèces?
C'est variable, car plusieurs facteurs sont en cause (temps de
génération, nature des mutations...), mais c'est en
moyenne de l'ordre du million d'année, sachant que c'est parfois
bien plus rapide... ou plus lent.
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