André Juillard
interview réalisée en 2006
Bibliographie :
- Les 7 vies de l'Epervier
- Après la pluie
- Arno
- Barbe-Rouge
- Blake et Mortimer (Editions Blake et Mortimer)
- Bohémond de Saint-Gilles
- Le Cahier bleu
- Les Cathares
- Chasseurs d'or
- Cheminot
- Le Dernier chapitre
- Dessins d'histoire
- Les missions d'Isabelle Fantouri
- Le Long voyage de Léna
- Masquerouge
- Plume aux vents
- Triangle secret
Quels
souvenirs de Bande dessinée gardez-vous de votre enfance?
QU'est
ce qui vous a donné envie de devenir dessinateur?
Ce sont deux
choses, d’abord mes premiers souvenirs de lecteurs. Je devais
avoir
8-10 ans, je lisais le journal Tintin.
Ensuite, il faut
se projeter lorsque j’avais une vingtaine
d’années. Je
vivais chez un oncle dont les filles lisaient
« Pilote ».
J’ai découvert la BD à travers le
« Pilote »
des années 70, avec Bluebbery, Valerian, Gotlieb, Druillet.
J’étais
aux arts déco et avec Pilote, j’ai pris conscience
que la BD
était un moyen d’expression qui était
fait pour moi.
Vous
ne vouliez pas faire de BD auparavant ?
Au départ
je ne pensais pas à la BD, je pensais plus à
l’illustration.
Au cours de
vos études, Mezières a été
votre
professeur. Quels souvenirs gardez-vous de cette
période ?
Un très
bon souvenir. C’était quelqu’un de
très disponible
et de très généreux.
C’était aussi
quelqu’un qui ne laissait rien passer. Ce qui
l'obsédait,
c'était la lisibilité de la planche.
J’ai beaucoup
appris à son contact et j'ai rencontré des gens
qui
sont resté des amis, comme Loisel, Le Tendre ou Rossi.
Pour rentrer de
plein pied dans le milieu de la bande dessinée,
Mezière
m’a fait connaître Giraud, puis Jijé,
car j’avais un
dessin plus proche de ce dernier.
Petit à
petit, j’ai appris la BD, en suivant les conseils de
Mezières
et Gillain (ndr :Jijé) et aussi en travaillant, car
j’ai
eu la chance de tout de suite trouver du travail pour le journal
« Formule 1 » et dans les autres
magazines des
éditions « Fleurus ».
J’ai ainsi
appris mon métier directement, alors que je
n’étais
pas forcément au point pour les autres journaux de la bande
dessinée comme Tintin ou Pilote.
Vous
y avez rencontré Didier Convard ?
Oui, je l’ai
rencontré il y a très longtemps, à mes
débuts.
Nous travaillions tous les deux pour Fleurus. Nous avons
sympathisé
et on nous a proposé de travailler ensemble pour faire
l’inoubliable « Isabelle
Fantouri »
(sourire). Elle nous a occupés pendant 3 ans. Nous
travaillions ensemble sur le dessin et le scénario
était
fait par quelqu’un d’autre.
L’héroïne
devait être constamment présente dans le journal
« DJINN », un hebdomadaire pour
filles. Ça
demandait beaucoup de travail.
En faisant un
bond dans le temps, on arrive à l’aventure
« Masque
rouge » avec Cothias, dans Pif gadget, comment
avez-vous
été amené à travailler avec
lui ?
Les édition
Fleurus ne fonctionnaient plus très bien. Comme
j’avais déjà
fait un travail autour de Jules Vernes pour Pif alors j’y
suis
retourné.
Il y avait un
scénario qui attendait son dessinateur, écrit par
Cothias. Au départ, cela s’appelait
« Cerf
Rouge », avant de devenir
« Masque Rouge ».
C'est comme ça que j'ai rencontré Patrick, qui
travaillait aussi à Fleurus. Il était
même
dessinateur à l’époque.
Le
design de masque rouge s’inspire t-il de quelque chose en
particulier ?
Au tout départ
c’était une histoire plutôt
médiévale,
mais la rédaction de Pif surveillait la gestation des
séries
et voulait plutôt une BD de cape et
d’épée. La
transformation a été assez simple pour le
scénariste
et puis le reste ça a été du bricolage.
Pour le masque
en lui-même, techniquement, il fallait qu’il ait
des
coutures. J’ai eu l’idée que ces
coutures ait un sens.
Quel
type de documentation utilisiez-vous ?
Au départ,
j’utilisais un peu tout. Des livres d’histoires
pour enfant, pas
forcement de cours, des petites encyclopédies. Quand
j’allais
dans un musée et que je voyais des tableaux
représentant
cette époque, je faisais des croquis. Petit à
petit
j’ai trouvé des livres plus pointus sur la
question. Pareil
pour l’architecture.
Au départ
je n’avais pas une grande technique de recherche de
documentation.
Je n’allais pas au cabinet des dessins pour consulter des
plans.
Cela m’aurait plu mais on avait pas beaucoup de temps. On
devait
rendre 10 pages par mois, ce qui représentent un travail
assez
soutenu. Je serais incapable de le refaire maintenant (sourire).
Comment
s’organisait votre travail avec Cothias ? Vous
discutiez du
scénario ?
On pouvait en
discuter mais il y avait toute une série de
scénarios
qui était déjà
préparée, avec les
synopsis. On se voyait fréquemment et on
aménageait
certains scénarios quand on avait de nouvelles
idées.
Avec le
recul, avez vous, dans la saga des Sept vies de
l’Épervier,
des personnages que vous préfériez
dessiner ?
Je préfère
dessiner Ariane avant tout. Ensuite je les aime tous, je n’ai
pas
de préférence graphique.
A cette époque,
j’avais tendance à
stéréotyper mes
personnages. Je ne leur donnais pas une personnalité
très
marquée. C'est surtout vrai pour les personnages principaux,
que l’on doit dessiner case après case, page
après
page pendant des années. On a tendance à prendre
des
types de physique qui nous viennent naturellement sous le crayon.
C’est plus qu’une affaire de trait, c’est
une affaire de
physionomie. On a des préférences pour un type
d’anatomie, un type d’architecture.
Quand je revois
les personnages, je m’aperçois qu’ils
étaient très
stéréotypées. Par contre, je
m’amusais plus à
faire des personnages secondaires, qui n'apparaissaient que dans
quelques cases. J’avais moins de pression, il n'y avait pas
à
les dessiner sous tous les angles.
Ariane étant
un de vos personnages préférée, avez
vous
essayez de la démarquer ?
Non, mais elle a
beaucoup changé d’elle même,
déjà par
rapport à Masque Rouge. Dans les six premiers tomes des 7
Vies
de l’Épervier, elle est soit enfant, soit
adolescente. Dans
le dernier album, elle devient adulte. Entre le 1
er
Masque
Rouge et le dernier tome des Sept Vies de
l’Épervier, il
s’est passée 10 ans, donc ma façons de
dessiner a
évolué. Mais pour Ariane,
j’étais assez
prisonnier d’un certain type, fixé dès
le départ.
Je ne pouvais pas la transformer en brune avec un nez en bec
d’aigle
par exemple (sourire).
Cela ne me
dérangeait pas, car cela correspondait à ma
façons
de dessiner les personnages féminins. Louise du
« Cahier
Bleu » et Ariane se ressemblent beaucoup.
J’essaye de
changer un peu pour l’héroïne de la
nouvelle bande
dessinée que je réalise actuellement avec
Cristain mais
ce n’est pas toujours une franche réussite.
Vos
personnages principaux sont souvent des femmes. Pourquoi ?
Au départ,
je ne choisis pas, c’est le travail du scénariste.
Ensuite
je me suis aperçus que je me sentais bien avec un personnage
féminin. J’aime bien les dessiner, et puis je
pense que j'ai
plus de connivence avec une femme qu’avec un homme,
finalement.
Verra-t-on
Ariane vieillir ?
Je ne sais pas.
Actuellement, c’est en stand by. Patrick écrit des
romans et
je fais pour ma part des choses plus ponctuelles. Peut-être
que
l’envie nous reprendra... D’ailleurs
j’aimerais beaucoup, mais
il faudrait qu’on en discute avant. Trouver une raison, une
idée
intéressante pour poursuivre la série. Mais je
n’aurais
pas de plaisir à dessiner une Ariane de 75 ans.
Peut
être pas autant !
(sourire)
Oui, c’est une héroïne de BD. Elle
prendra de l’âge
parce que le temps passe, mais elle ne changera pas beaucoup.
Etiez vous au
courant du scénario de « Plume au
Vent »
dans son integralité quand vous avez
décidé de
reprendre le personnage d’Ariane ?
J’ai appelé
Cothias car j’éprouvais la nostalgie de cet
univers. Pour ce
qui est du scénario, j’avais dit à
Patrick que je ne
me sentais pas capable de repartir pour sept tomes. Je lui ai
suggéré
un chiffre au hasard, mais moins de 7 (rires). J’ai
pensé à
un cycle en quatre albums. Il s’y est tenu. Il a eu un peu de
mal
vers la fin, il aurait aimé continuer un peu, mais
j’avais
envie de faire autre chose.
Et puis... je
m’ennuyais un peu au niveau du dessin dans cette histoire. Je
n’ai
pas eu exactement ce que j’aurais voulu avoir.
J’aurais vu une
série davantage documentaire sur le monde des Indiens,
expliquer comment les gens vivaient. Ça aurait passionnant.
Finalement, je n’ai pas eu beaucoup de grands espaces, de
scènes
d’action. Il y a eu plus de dialogues à
l’intérieur
des huttes des indiens ou de la maison de Champlain. Je me sentais
vraiment à l’étroit. Au bout du compte,
j’avais
hâte que ça se termine.
Si on retrouve
l’inspiration, on racontera de nouvelles histoires, mais est
ce
qu’on en aura envie un jour? Pour l’instant je ne
peux pas le
dire.
Comment
est venue l’idée de reprendre les personnages de
Blake et
Mortimer dans la Machination Voronov ?
Elle est venue à
Didier Cristman, qui était à
l’époque
directeur de collection chez Dargaud. Il s’occupait de la
reprise
qu’assumait Ted Benoît et Jean Van Hamme. Ted
Benoît
travaillait assez lentement et Dargaud voulait
accélérer
la cadence, car ils avaient payé le projet assez cher.
Cristman proposa donc de créer une deuxième
équipe.
Pourquoi
Cristman a-t-il pensé à vous ?
Il savait que
j’étais un fan, mais c’est loin
d’être suffisant.
Il y avait eu, dans les années 80, un hommage à
Jacobs
– de son vivant – dans le journal Tintin. Cinq
dessinateurs
avaient été choisis pour faire une page
à propos
d’une de ses histoires.
À
l’époque, j’avais
été surpris d’avoir
été
choisis car mon style n'était pas très proche du
sien,
mais j’ai réalisé une planche sur le
Mystère
de la Grande Pyramide, dans mon style.
Par la suite
Didier Convard et moi avons fait un album où nous reprenions
des personnages existants, mais âgés, toujours
dans un
style assez réaliste (« Dernier
Chapitre »,
ndlr). A l’occasion de la sortie de ce livre, j’ai
fait un ex
libris dans le style « ligne
claire » pour un
libraire. Je crois que c’est en voyant ce dessin que Cristman
a
pensé que je pourrais retrouver le style de Jacobs.
J’ai
fait un essai concluant et je me suis lancé dans
l’aventure
avec énormément de plaisir.
Vous n’avez
pas eu trop d’appréhension, à reprendre
ainsi une
série mondialement reconnue ?
J’avais de
l’appréhension bien sûr. Je
n'étais pas
certains de tenir la distance, car il y avait beaucoup de pages (60),
beaucoup de cases ,beaucoup de texte. Il fallait arriver à
maîtriser des personnages qui peuvent paraître
facile au
prime abord mais qui ne le sont pas. Et surtout ne pas
décevoir
les lecteurs. Je suis moi même lecteur et je sais que je peux
être déçu par une reprise.
J’ai toujours
eu le goût de faire des pastiches. Dessiner
d’après
Franquin, Thillieux, Milton Caniff. Cela m’amuse,
j’essaye de
coller le plus possible à leur style. C’est un
exercice très
intéressant. Mon état d’esprit
n’était donc
pas paralysé d’endosser un style qui
n’était pas le
mien. En réalité, je trouvais cela
très
excitant.
La
réalisation n'a pas été contraignante?
On me demande
souvent si ce n’était pas contraignant, mais
c’est un
choix personnel. On ne m’a pas forcé.
J’ai juste réfléchi,
et consulté Ted Benoît, pour voir si ce
n’était
pas un problème pour lui, avant de donner ma
réponse.
J’avais trouvé
que Benoît avait fait du très bon travail, et cela
me
prouvait que ce projet était réalisable. De plus,
malgré tout, on retrouvait son style dans les personnages.
Je
savais que pour ma part, j’allais avoir du mal à
me
débarrasser de mon style, par exemple pour les personnages
secondaires. Mais avec ce qu’avait fait Benoît, je
savais
qu’on pouvait arriver à coller aux
modèles tout en
restant soi-même.
Au bout du
compte ça été un vrai plaisir de
rentrer dans le
dessin de Jacobs, et je me suis rendu compte qu'il était
encore plus riche que je ne le pensais en tant que lecteur.
Avez vous
changé votre technique de travaille entre vos
série
régulières et la Machination Voronov ?
Oui. D’habitude,
je fais beaucoup de croquis. Par ailleurs, je n’avais pas
à
faire les couleurs, qui étaient
réalisées par
Didier Convard pour la Machination Voronov et ensuite par Madeleine
Benoît « Madeleine
2000 ». Je n’avais
donc pas besoin d'utiliser le papier que j’utilise
normalement
quand je travaille en couleur directe, surtout qu’il supporte
mal
le grattage et est difficile a gouacher.
J’ai pris un
papier plus lisse, plus facile à travailler avec la plume,
qui
est mon instrument de travail. Je me suis remis à travailler
en noir et blanc, ce qui n’est pas
désagréable non
plus.
Etiez
vous soulagé de ne pas avoir les couleurs à
faire ?
En couleurs,
j'ai l'habitude de faire des ombres, des nuances….Le
principe de
Blake et Mortimer, c’est la ligne claire. C’est
d’ailleurs
presque lui qui l’a inventé puisque
c’est lui qui a
recolorisé les premiers albums de Tintin. Jacobs
était
un grand coloriste. Il avait une gamme de tons particulière,
il faisait des mariages de couleurs qui pourraient choquer mais qui
passent très bien. Faire un exercice de style sur la couleur
ne m’aurait pas déplu mais je n’avais
pas trop le temps. Pour moi, c’était une
récréation, je ne
voulais pas y passer des années.
Mais un jour,
j’aimerais bien en faire un en couleur, pour comprendre le
système
chromatique de Jacobs.
Avez
vous fais des recherches particulières pour ce projet, par
exemple en prenant des lieux réels pour modèles
comme
faisait Jacobs ?
Je ne sais pas
comment faisait Jacobs, mais quand c’est possible
d’aller sur les
lieux, on y va.
Pour la
Machination Voronov, Yves Sente et moi-même nous sommes
rendus
à Liverpool, pour voir les lieux où se passe une
séquence et où John Lenon et Paul Mac Cartney se
sont
rencontrés. C’était très
émouvant,
surtout pour Yves Sente, qui est un très grand fan des
beatles
(sourire).
On peut aménager
le scénario et la mise en scène, en fonction des
lieux.
On s'aide en prenant des photos, des croquis. C’est
l’idéal.
Pour la base de
Baïkonour, c’était un peu
compliqué, d'autant
que dans les années cinquante, c'était un endroit
secret, mais une cousine m’a trouvé des
renseignements
dessus grâce à internet.
Pour le reste,
costumes, voitures, j’ai utilisé des livres.
Qu’est-ce
qui a été plus difficile, passez de la ligne
claire au
réalisme ou l’inverse ?
Je n’ai pas
l’impression d’avoir eu des difficultés.
Le plus dur, bien
sûr, dans un premier temps, a été
d’essayer de
mettre mon style de côté pour faire de la ligne
claire
mais j’avais aussi l’impression de faire
déjà de la
ligne claire.
Le style que
j’ai élaboré, plus au moins
inconsciemment, est un
style réaliste, mais relativement clair. Quand
j’ai
commencé, mon modèle était Giraud,
avec
Blueberry, ou ce qu’il faisait sous le nom de Moebius. Mais
c’était
aussi Tintin, les ouvrages de Jacobs, ou Alix, qui m’avaient
nourri
quand j’étais gamin.
Pour brider
cette tendance à m’inspirer de Giraud,
j’ai emprunté
un trait simple et sans hachures à la ligne claire. Giraud
était un virtuose de la hachure, ce qui
n’était pas
mon cas. En plus, j’avais la flemme (sourire).
L'exercice
serait plus difficile de faire un dessin de type Franquin ou
Hergé.
Jacobs faisait aussi du réalisme, même si par
certains
aspects, comme des attitudes, la façons d’exprimer
une
action, son style rejoint celui d’Hergé.
Quand on fait
une série comme ça, on évite
d’introduire trop
de réalisme. Quand je fais marcher Mortimer,
j’évite
de trop décomposer le mouvement pour trouver une attitude
originale. Le génie des grands dessinateur c’est
de trouver
la bonne attitude, celle qui exprime l'action au mieux. Je vais
volontiers dans cette simplification.
Que
pensez vous en général , des reprises
d’une bandes
dessinée par un autre auteur ?
Si c’est bien
fait, je suis favorable. Qui va se plaindre de la reprise de Spirou
par Franquin ? Pour le principe, j’ai rien contre,
c’est au
lecteur de décider si ça vaut le coup. Je sais
que ce
n’est pas évident pour lui. Je me souviens des
autres
reprises de Spirou. Évidemment, passer après
Franquin,
ce n’est pas évident. Le travail de Fournier
était
tout à fait honorable mais pour ma part, je m’y
retrouvais
plus.
Je me suis posé
la même question quand j’ai repris Blake et
Mortimer. Est-ce
que les lecteurs allaient avoir la même sensation? Je ne fais
pas du Jacobs, même si j’essaye
d’être proche de ses
personnages.
Quand
vos propres personnages sont repris, êtes-vous
satisfait ?
Ils sont repris
d’une façon tellement différente...
J’aime autant,
d'ailleurs. Autant que ce soit une re-création.
J'en apprécie
certains. Par exemple le travail que Prud’homme avait fait
sur
Ninon m’a plu.
Au début
je trouvais que son style était assez
éloigné du
mien. Sans copier, il a réussi à
développer un
style plus personnel que je trouve formidable. Je regrette
qu’ il
ait ensuite abandonné ce style pour son style actuel, qui
fait
plus « arts & essai ».
Le travail de
Mérale était intéressant
également. Le
style était puissant et plein de personnalité.
Pourtant, le lecteur se retrouvait-il dedans ? Je
n’en suis
pas persuadé. Il faut dire que c'était des
séries
parallèles, pas réellement une reprise.
Vous avez
parlé tout à l'heure de
« Dernier
Chapitre ». Avez vous pris du plaisir à
faire
vieillir les personnages ?
Oui, c’était
très amusant. J’aurais bien aimé
continuer
d’ailleurs. On avait des projets, on en a parlé
à des
auteurs. Certains étaient emballé puis sont
devenus
réticents par la suite. Nous avons été
un peu
découragés.
Comment
cette idée est-elle venue ?
Didier
Christman
et Didier Convard en ont eu l’idée et
m’en ont fait part.
Avez
vous des séries que vous auriez aimez faire vieillir mais
que
vous n’avez pas pu faire?
Oui.
Nous avions
évidemment un projet sur Tintin (sourire).
C’était
absolument impossible.
Nous aurions
aimé traiter des séries comme celle de Thilieux,
Gil
Jourdan... Il y avait aussi Blueberry. Giraud était
d’accord
au début puis il a changé d'avis.
Valérian ?
Nous y avions
pensé aussi mais Mézieres
n’était pas très
chaud.
Vous avez de
nouveau travaillé avec Convard en réalisant les
couvertures et quelques pages du « Triancle
Secret ».
Êtes vous intervenus sur le design des personnages ?
Non, pas du
tout. Je suis arrivé après la bataille.
J’ai dû
dessiner les personnages d’après le style de
Falque, ce qui
n’a pas été simple.
Pourquoi ?
Parce
que nous
n'avons pas du tout la même façons de dessiner les
personnages. Je sais pas si ils sont très ressemblants
(rire).
Passons
maintenant aux ouvrages que vous avez scénarisé
vous-même. Comment est venue l’idée du
cahier bleu ?
L’idée
du cahier bleu est venue d’un travail
d’illustration que je
venais de faire pour « Bolley »,
une petite
boîte avec des sérigraphies. Le sujet
était une
ligne de métro, qui ne passe pas très loin
(ndlr :
la ligne 6). Pour ce travail, j’ai beaucoup
circulé sur
cette ligne et j‘ai pris beaucoup de photos. Une partie de la
ligne
est à ciel ouvert et on voit les fenêtres des
immeubles,
plus au moins opaques, s’éclairer la nuit.
C’est de là
qu’est venue ma première idée du Cahier
Bleu :
quelqu’un qui rencontre une personne depuis le
métro. Et par
ailleurs j’avais une autre image en tête, celui
d’un
tableau de Hopper, qui représente une femme avec un air
triste
dans un hôtel, en train de lire une lettre.
En général
quand je raconte une histoire, je ne pars de rien. C’est
juste une
idée, une scène, un personnage, un
décor.
J‘aime bien
quelque fois lire les romans qui sont très
documentés,
qui dépeignent un milieu par le menu. Mais ça,
j’ai
pas envie de le faire (rires). Je préfère
raconter des
histoires plus simples qui peuvent arriver à chacun de nous,
sans trop rentrer dans les détails. Peut-être que
la
prochaine fois j’aurais envie de faire quelque chose de plus
documenté.
Je n’ai pas de
grandes histoires à raconter, qui dorment au fond de moi...
Ou
alors elles sont inconscientes.
Beaucoup de
dessinateurs parlent du problème de passer de la planche de
BD
à celle de la feuille d’écriture du
scénario.
Avez-vous demandé des conseils ?
Non, je voulais
vraiment faire ça tout seul. D’abord je voulais
savoir si
j’en étais capable. Je pensais n'avoir aucune
imagination :
je ne partais pas gagnant, loin de là, mais finalement
j’ai
trouvé cela assez simple.
Il m’a suffit
de m’asseoir devant ma feuille et de me laisser
rêver. On
tire un fil de notre imaginaire et tout le reste de la pelote nous
vient. Le boulot le plus important est de savoir tout mettre en ordre
et de structurer tous les éléments.
C’est une des
parties que je préfère.
Finalement, j’ai
trouvé cela plus simple que de dessiner. Bien sûr,
je
n’ai écris que deux petits scénarios et
pas la
Condition Humaine (sourire).
Du point de
vue graphique, préférez-vous dessiner des
histoires
contemporaines ou se déroulant au moyen age ?
Sans aucun
doute, je préfère dessiner le passé.
Je crains
un peu la ligne droite, je n’arrive pas à dessiner
les
immeubles sans une règle, sinon ils sont bancals. Pour faire
un château ou une vieille maison, je me sens à
l’aise
car je sais que je n’ai pas besoin de dessiner un trait
parfait, au
contraire.
Pour les
costumes, malgré mon expérience, j’ai
toujours du mal
à dessiner un pantalon moderne. Les voitures me posent
également quelque difficultés, même si
j’aime
bien cela. Je parle bien sûr des voitures anciennes car les
actuelles ne présentent pas beaucoup
d’intérêt.
Dans une BD
contemporaine, je vais avoir à dessiner des choses qui vont
m'ennuyer, c'est quasi inévitable, même si je fais
mon
maximum pour l'éviter (sourire). Bien sûr, dans
une BD
historique il y a aussi des scènes ennuyeuses. Par exemple,
pour un repas, on doit se documenter sur le type de plats, de
couverts utilisés, les chaises sur lesquelles les
protagonistes s’assoient. C'est compliqué mais je
suis plus
à l’aise pour ce type de scène que pour
dessiner une
table avec des gens qui boivent un café.
Travaillez
vous d’après des modèles, des
photos ?
Quand
je fais de
la bande dessinée, non. Si je devais rechercher des photos,
ce
serait trop long. Avec le temps, j'ai acquis une certaine
habileté
pour dessiner les personnages sans avoir besoin de modèles.
Par contre pour des travaux plus personnels, il m’arrive
d’utiliser
des photos, des modèles, des portraits.
Je feuillette un
magasine de mode, et je trouve une photo qui
m’intéresse
pour l’expression ou la lumière. Je prend le
premier crayon
qui me vient, un feutre, une pierre noire, un fusain, puis je fais
des essais de papier, de couleurs.
Pour une bande
dessinée, je n’en éprouve pas le
besoin. Je peux
m’inspirer d’un personnage vu, mais cela restera
lointain. Je
vais prendre une ossature, des proportions. Je ne vais pas le
photographier sous toutes les coutures. En
réalité, je
l’ai déjà fait et je ne m’en
sers pas. Pris dans le
feu de l’action, je préfère travailler
plus
spontanément.
Et
pour la couleur?
Au
départ,
j'utilisais carrément des aplats, ce qui était
d'ailleurs imposé par les moyens de reproduction de Fleurus.
Pour Masque Rouge et les Sept vies de l’Épervier
je faisais
les couleurs de manière traditionnelle.
J’utilisais des
bleus, puis de l’aplat. Quand je faisais une ombre, je ne
faisais
pas de nuances. Maintenant je travaille encore un peu comme
ça,
même si j’utilise des pinceaux, des encres.
J’ai toujours
besoin de créer une lumière, une ombre, mais je
n'aime
pas trop compliquer la mise en couleurs. L’image ne doit pas
devenir une illustration.
Vous
donnez une attention particulière au choix du
papier ?
Oui,
comme tous
mes collègues. Ce n’est pas rare qu’on
se lamente sur la
perte de qualité du papier. Nos plus grand
problème
sont dus au matériel.
Il faut trouver
le bon papier, celui qui correspond à l’album. En
plus si on
travaille en couleur il faut que tout soit compatible.
Malgré
la diversité du papier que le commerce peut offrir, on a
toujours du mal à trouver la bonne moyenne.
Vous donnez
généralement des yeux clairs à vos
personnages.
Les yeux sombres sont une contrainte pour vous ?
Non. C’est
plus facile pour moi de donner des expressions avec des yeux clairs.
Je ne sais pas pourquoi (rire). J’ai plus de mal à
donner
une expression aux yeux noirs en gros plan. Ce n’est pas
parce que
je n’aime pas les yeux noirs.
Souvent aussi,
je dessine des brunes, parce que c’est plus facile (rires).
J’ai
du mal à trouver une manière assez
élégante
de faire les cheveux blonds, roux, sans leur donner un
côté
trop réaliste.
Vous allez
sortir un livre avec Daniel Maghen, rassemblant beaucoup de vos
travaux. C’est lui qui vous a contacté ?
Oui, c’est lui
qui voulait faire un livre.
Il doit y en
avoir deux, la suite de Pèle Mêle,
« Pèle
Mêle 2 » (sourire), qui sera plus
axé sur les
travaux déjà parus. Dans celui qui sera
publié
chez Daniel Maghen, il y aura une grande part
d’inédits. Il
sera plus axé sur le dessin. Autant que les deux soient
différents.
Qu’y
aura-t-il dedans ?
Tous
les croquis
que je peux faire à mes moments perdus, quand je fais une
illustrations ou un dessin.
Quels
sont vos projets actuels en BD ?
Je travaille sur
une bande dessinée qui a été
écrite par
Pierre Christin. C’est un album unique, qui
paraîtra chez
Dargaud an août prochain.
Depuis
longtemps, nous avions envie de travailler ensemble. A la fin de
Blake & Mortimer, nous devions faire un livre
illustré
dans la collection « les Voyages de Pierre
Cristin ».
Il
m’a proposé un
synopsis avec un personnage de femme qui me plaisait beaucoup, ce qui
a retardé l'écriture du scénario que
je me
préparais à réaliser, puisque le sien
était
déjà prêt. C’est une histoire
d’espionna ge
sur un fond de terrorisme. Ce n’est pas du tout une BD avec
de
l’action, des explosions .Il y a qu’une explosion
et ce sera
peut-être dans une petite case. C’est surtout la
description
d’un personnage que je trouve particulièrement
émouvant.
Est-ce qu’il
y a des genres que vous aimeriez explorer d’un point de vue
scénaristique ?
Je crois pas
qu’il y en a que je n’aimerais pas explorer! Il
faut juste que
j’en ai l’occasion. J’aimerais essayer le
registre de l’humour.
Pas du ZEP ou du Uderzo, bien sûr, je resterais dans mon
style... Un peu comme ce qu’a fait Jack Davis.
La science
fiction, ça ne me déplairait pas, à
condition
qu’on me laisse le temps de faire un travail de la
qualité
de celui de Bourgeon. Même si ça ne sera jamais
aussi
pointu que ce qu'il fait, parce que je n’en ai ni la patience
ni le
goût, j'aimerais bien créer un univers qui ne soit
pas
une copie conforme de ce qui existe déjà.
J'aimerais bien
aussi faire aussi une histoire réaliste qui se passerait
lors
de la dernière guerre, autour du problème du
choix.
Et d'un point
de vue graphique?
Graphiquement
j’aimerais trouver un style plus léger, mais
à chaque
fois que je suis devant la planche, je reviens à mon style.
J’aime beaucoup la tradition de la bande dessinée
le « cerné noir », la
mise en couleur pas
trop compliquée.
Le travail du
strip me tenterais aussi, un peu à
l’américaine.
J’aurais adoré faire « Crazy
Cat » ou
encore du Milton Caniff. Mais on a qu’un seul style,
même si
on arrive à varier…Et on n'a surtout
qu’une seule vie !
(rires)
Pour moi la
bande dessinée, c’est comme un jeu.
C’est un plaisir
constant, que ce soit lire, relire des bandes dessinée ou en
faire. J’ai l’impression de vivre un grand
privilège.
Quel
regard portez-vous sur la bande dessinée actuelle ?
Je suis très
content qu’il y en ait pour tout les goûts.
Au niveau
graphique, ça a énormément
évolué.
Un lecteur ne demande plus à un dessinateur de travailler de
façons classique « à la
Giraud »,
« à la Franquin ». Il
accepte des styles
qui paraissent plus négligés, plus simples ou au
contraire plus élaborés.
Ce qui
m’intéresse c’est que la BD,
c’est un tout. Il y a bien
sûr l’aspect graphique mais il y aussi
l’histoire. Souvent,
un dessin qui pourrait me rebuter a priori est rattrapé par
ce
qu’il a à dire.
Il n'y a
peut-être pas que du bon et j'entends souvent dire que cette
profusion de titres dans le marché de la bande
dessinée
risque de devenir un problème. Mais je ne peux rien y faire.
Il y a toujours eu de mauvaises choses en peinture, en
littérature….Globalement, ce que je trouve
intéressant,
c’est de voir confirmer de jeunes talent qui ont quelque
chose à
dire et qui le disent par le dessin.
Vous
lisez toujours autant de bande dessinées ?
Oui, j’en
reçois par mon éditeur mais j’en
achète aussi.
J’essaye de me tenir au courant de ce qui sort, par plaisir
avant
tout. Quand je vais chez un libraire chercher quelque chose, il
m’arrive d’être
découragé en voyant le nombre
de titres proposés (rires). C’est
peut-être un peu le
problème. Les lecteurs aimeront plutôt rester avec
les
auteurs ou les personnages qu’ils connaissent
plutôt que d’en
découvrir d’autres.
Est
ce qu’il y a des scénaristes avec lesquelles vous
aimeriez
travailler ?
Oui. Avec
moi-même d’abord (sourire) , Le Tendre, Yann et
d’autres.
J’aime surtout travailler avec des gens que
j’apprécie,
comme Pierre Christin.
Avec
le recul, quel a été le plus grand
défi de
votre carrière ?
Je ne considère
pas mes travaux comme des défis à relever. Je
suis
relativement tranquille. Avant de faire un projet, je suis un peu
inquiet, mais dès que je suis dedans, je n’y pense
plus, je
le fais.
Ah si, il y a
l’illustration du roman de Fockner
« Tandis que
j’agonise », chez Futuropolis, que je ne
voulais
absolument pas rater. Il fallait faire la maquette soi même,
choisir l’emplacement de nombreuses illustrations. Je
travaillais
avec Etienne Robiale, qui est un des grands graphistes actuel et qui
a donc un œil assez pointu. J’étais
vraiment inquiet quand
j’ai débuté le projet, puis dans le feu
de l’action,
j’ai oublié toutes mes peurs.
Avant il
m’arrivait de recommencer trente fois le même
dessin, ce qui
ralentissait mes projets. Le fait de travailler dans la presse, avec
les contraintes temporelles que ça amène,
m’a permis
de me former à ne pas passer trop de temps sur les dessins.
Ce
n’est pas parce qu’on passe une semaine de plus sur
un dessin que
c’est forcement mieux. A la fin de Masque Rouge,
j’ai voulu
stopper cette cadence car je sentais que je ne pourrais plus faire de
progrès.
Et
votre plus grande joie ?
Mon premier
dessin paru. C’était dans un journal
« Formule
1 » des éditions Fleurus.
Ensuite
l'illustration de « Tandis que
j’agonise »,
qui a vraiment beaucoup compté pour moi. C’est un
travail
qui a été apprécié par un
certains
nombres de spécialistes, en particulier de Fockner. Pourtant
au niveau dessin, quand je le feuillette, je n’en suis pas
tout à
fait satisfait. Mais ça c’est
systématique.
Quel
personnage de BD aimeriez-vous être ?
Corto
Maltese.
Il a une vie formidable C’est un aventurier qui rencontre des
génies formidables et des femmes (rires).
Nous
vous remercions de votre gentillesse.