Mara
interview réalisée en décembre 2008
Bibliographie :
- Clues
Quand tu étais petite, quel métier voulais tu faire?
J'étais très intéressée par les animaux. J'aurais bien aimé être vétérinaire mais je n'étais pas assez courageuse pour cela. Il m'aurait fallu tuer des animaux, faire des dissections, opérer.
Puis j'ai été intéressée par l'éthologie, l'étude du comportement animal.
Tout cela n'avait bien sûr rien à voir avec le dessin mais je dessinais beaucoup d'animaux jusqu'à un certain moment. J'ai ensuite bifurqué sur les humains et c'est là que le dessin est devenu beaucoup plus important que tout le reste.
Tu lisais beaucoup de bandes dessinées?
Oui, les grands classiques: Lucky Luke, Astérix, Tintin... C'était ma mère qui m'encourageait à les lire en Français et en Anglais. Vers les dix-onze ans, j'ai découvert Gaston.
As tu eu des maîtres à penser, des personnes qui ont influencé ton travail plus que d'autres?
Oui. Le mouvement principal qui m'a influencée c'est celui des dessins animés. J'adorais les Disney, pas forcément pour l'histoire, mais pour tout le background artistique. J'ai quasiment tous les art books qui ont été fait depuis "le roi Lion". L'idée d'aller à l'essentiel avec quelques traits... D'avoir des décors très beau, très fouillé, sur lequel on place les personnages en à-plats.
J'ai rencontré une jeune dessinatrice Genevoise, Valp, qui réalisé Lock chez Paquet, à l'âge de 17 ans. Elle venait de sortir sa première BD et elle m'a aidé à choisir la voie de la bande dessinée. C'était plus une influence professionnelle qu'artistique.
J'ai aussi été influencé par Loisel, Guarnido, Griffo, Barbucci et Canepa mais il y a toujours un lien avec l'animation car c'est ce que je préfère dans le dessin.
Beaucoup de dessinateurs ont commencé par être animateurs, tu n'as pas voulu commencer par cela?
Ce qui me dérange dans l'animation, c'est qu'on ne peut pas tout faire. Soit on fait le character design, soit on fait le storyboard, soit on fait le "clean"... En plus on n'a pas forcément une influence sur l'histoire. Un travail dans une grosse industrie, je n'aime pas.
J'ai tout de même fait un petit stage d'animation de trois semaines chez un animateur suisse, Robi Engler, qui a notamment travaillé sur la série "Victor", "Les volbecks"...
Il m'a montré les bases, j'ai fait un peu de character design. Pendant mes pauses, je travaillais sur les premières planches de mes futurs projets de bande dessinée.
As tu eu une formation artistique?
Non. J'ai tenté de rentrer aux "Arts déco" à Genève mais le dossier que j'avais présenté ne les intéressait pas. D'un autre côté, je suis contente car la formation qu'ils proposaient ne m'aurait pas plue.
J'ai une amie qui avait fait une école de bande dessinée et qui en était sortie dégoûtée. J'avais peur de cela aussi. Mais j'ai conscience que je fais encore plein d'erreurs que je ne ferais peut-être pas si j'étais allée dans une école.
Tu ne penses pas que les professeurs auraient pu t'aider à trouver plus vite un style personnel?
C'est possible mais j'avais tellement entendu le contraire que cela m'avait un peu freinée. Par contre, j'ai bien été entourée puisque j'ai des amis qui sont dans le dessin, dans la bande dessinée et qui sont assez franc. Quand je dessine, j'ai l'habitude de beaucoup monter mon travail à mon entourage pour savoir ce qui leur plaît ou non. Mon style n'aurait pas aussi bien évolué si je n'avais pas eu des amis comme ça.
Comment s'est passée la réalisation de ta première bande dessinée?
J'étais allée en faculté des lettres après avoir passé ma maturité (baccalauréat). En deuxième année, je passais plus de temps à monter mes projets pendant les cours qu'à les suivre (rires).
J'avais aussi un travail d'une vingtaine d'heures par semaine dans un magasin de tabac. Comme c'était un petit kiosque dans la banlieue genevoise, je passais pas mal de temps à dessiner derrière le comptoir.
Je me suis ensuite fixé un quotas de planches avec des recherches de personnages, quelques pages de storyboard et après avoir choisi une date précise, je suis allée montrer montrer mon travail aux éditeurs.
La date que j'avais choisie était celle du festival d'Angoulême en 2005. J'y suis allée avec mon dossier sous le bras.
Comment ça s'est passé?
Je suis allée voir Delcourt, Petit à petit, Paquet, les humanos et Akiléos. Les gens d'Akiléos ont toute de suite aimé. Je suis restée à peu près pendant deux ans en contact avec eux tout en démarchant à côté. Pendant ce temps, nous avons échangé des mails, dans lesquels ils me disaient de retravailler des planches ou des détails. On a beaucoup retravaillé au niveau du scénario, pour signer le contrat en 2007.
À ce moment-là, j'avais le choix entre signer chez eux avec mon projet ou alors être dessinatrice chez les humanoïdes associées. Les deux propositions sont tombées en même temps le même jour à Saint Malo en 2006. J'ai choisi mon propre projet même si c'était chez une plus petite maison d'édition.
As tu eu un projet avant "Clues"?
J'en ai un autre dont les premières idées date de l'âge de 17 ans quand j'ai rencontré Valp. C'est une bande dessinée de Steam Punk que j'aimerais bien sortir un jour. Mais je veux m'y remettre quand mon dessin sera plus abouti encore. Quand j'ai débuté "Clues", je pensais faire un petit polar, quelque chose de plus léger et puis ce projet a maintenant pris une envergure que je ne pensais pas qu'il allait prendre.
A force de le développer, "Clues" est devenue plus personnel, plus important pour moi que le projet de "Steampunk" que je reprendrais sûrement beaucoup plus tard.
J'ai aussi d'autres projets et je n'ai pas l'angoisse de savoir quoi faire après "Clues"!
Comment es venu l'idée du steampunk?
En fait je ne savais même pas que c'était un genre. Je voulais faire un univers mêlant une ambiance victorienne avec de gros boulons, un peu comme le film "La cité des enfants perdus" ou les romans de Jules Vernes, avec toutes les inventions. J'ai appris le nom peut-être un ou deux ans près avoir couché mes premières idées sur le papier.
Revenons à Clues. Comment est venue l'idée des personnages principaux?
Ce sont eux qui me sont venues en premier. En fait, la relation des personnages est arrivée avant même les personnages. J'ai construit l'histoire autour d'elle. Je me suis dit : "J'aimerais bien reprendre ce thème là avec ce thème là où il pourrait se passer cela. Et cela se terminerait comme ça." Après j'ai réfléchi au type de personnage nécessaire pour construire ce genre d'histoire. Ensuite, j'ai choisi le côté victorien, le thème du polar, mais le fil rouge reste la relation entre les deux personnages.
J'ai rapidement décidé du design de l'héroïne, une petite rousse avec un petit nez et beaucoup de cheveux. L'autre personnage devait être tout son contraire, taciturne, grand.
Tu prévois ton histoire en combien de tomes?
Trois. Le début et la fin ont été planifié très vite. Le déroulement peut changer mais la fin, non.
J'ai plus d'appréhension pour le deuxième et le troisième tome car l'histoire prend une tournure différente du premier.
Comment s'est passée ta recherche graphique du Londres Victorien?
Sur le net, il y a beaucoup de choses. Sinon, il y a une maison de publication qui s'appelle "Dover publication" qui fait des livres pas chers sur des représentation de gravure de mode, de transport...
C'est une vraie bible de référence pour les artistes. Je les utilise pour les attitudes, les costumes. Le problème est que les robes qui sont représentées étaient sûrement très tendance de l'époque et devaient valoir une fortune... Mais c'est beaucoup plus difficile de trouver des dessins ou des photos de gens en habits de tous les jours. Du coup, on reprend des robes qu'on trouve sympas et on les simplifie en ne gardant que la ligne. Mon personnage n'étant pas forcement une victime de la mode, elle porte des vêtements relativement simples mais je voulais quand même que les lecteurs sentent que l'histoire est victorienne.
Je me suis beaucoup inspirée mais je n'ai jamais recopié à l'identique.
Tu t'es inspiré aussi de certains films comme "Basil, le grand détective"?
Oui tout à fait. "Basil" c'est vraiment bien pour la façon dont les décors sont faits. C'est difficile de mélanger le côté cartoon et l'univers réaliste victorien. "Basil" y arrive très bien.
Sherlock Homes?
Oui, surtout la série de la Granada avec Jeremy Brett. Elle est très utile pour les plans et les décors. Je fais mes couleurs devant et je mets sur pause quand je vois un chapeau ou un agencement de meubles qui m'intéresse. Il y a aussi "From Hell" que j'ai malheureusement vu après avoir dessiné le passage à la morgue. "Malheureusement" car je ne savais pas à quoi ressemblait une morgue et si j'avais vu "From Hell", cela m'aurait aidé. D'un autre côté, on se force à trouver des solutions pour faire des décors un minimum crédible. Pour le deuxième tome, je ferais plus attention.
J'ai aussi lu "Miss Endicott" qui m'a beaucoup surprise car c'était sorti l'année dernière et le personnage principal était une femme rousse. C'est une bande dessinée très motivante. Le dessinateur, Xavier Fourquemenin, est capable de donner un côté très cartoon au décor victorien.
Et forcément "Peter Pan" de Loisel. Son art-book m'a bien aidée. C'est une mine d'information.
Pour ce qui est de Scotland Yard?
Cela a été un peu l'horreur pour moi (rires), à cause du bâtiment en tant que tel, parce que j'ai dessiné une partie de mon album dans un chalet perdu en Montagne dans le canton du Valais. Je n'avais pas internet et je suis restée trois mois là haut. Pendant ces trois mois, je pensais avoir pris assez de documents avec moi et je suis tombée sur les planches qui devaient se passer à Scotland Yard. Je n'avais que deux vieilles gravures avec moi. Du coup, dans la bande dessinée, à certains moments Scotland Yard change d'apparence. Dans le deuxième tome, je serai beaucoup plus précise. Tout en me laissant une part d'improvisation, ce sera plus fidèle.
Au point de vue du scénario, as-tu eu des inspirations particulières?
Oui. Sherlock Holmes, c'est le premier qui me vient à l'esprit. J'aime beaucoup les romans du style de "Jane Eyre", "Les hauts du Hurlevents", "Jardins secrets"... Les romans typiquement anglais.
Des décors brumeux avec des relations torturées entre des personnages complexes.
La pièce de théatre "Pygmalion" dont a été tirée "My fair lady" avec Audrey Hepburn.
"L'aliéniste" de Caleb Carr avec le premier profiler aussi. Un livre qui m'a bien motivée quand je dessinais "Clues".
Comment travailles-tu la couleur?
Pour le premier tome c'était tout à l'informatique. Je faisais le crayonné au bleu et ensuite je passais au crayon gris (un crayon plus épais). Je détourais bien les personnages puis je scannais la planche. Je réglais les niveaux et je saturais la planche pour relever le bleu. Cette méthode donne un petit côté crayonné, un peu "sketch", que j'aime bien garder. Après j'appliquais une texture "aquarelle" pour les fonds afin qu'il y ait un petit grain dans les décors. Les personnages étaient en a-plat sur les décors. L'avantage, c'est que si il y avait une erreur de dessin, je pouvais la rattraper.
Pour le deuxième tome, je le fait à l'aquarelle, car j'adore cette technique. Je fais le crayonné, je passe au lavis aquarelle et ensuite je scanne. L'aquarelle me permet de poser les valeurs, les ombres et après je n'ai plus qu'à reprendre avec une ou deux couleurs maximum. J'aime le résultat car cela donne une ambiance bien particulière.
Combien de temps passes tu sur une planche?
Cela dépend des planches. Quand je suis motivée, je suis capable de faire un crayonné en cinq heures et ensuite la couleur me prend entre trois et cinq heures pour l'aquarelle et cinq et huit heures pour l'ordinateur. Certaines planches me demandent une douzaine d'heures de suite juste pour le crayonné. Et ce ne sont pas forcément les planches avec le plus de décor. Cela varie énormément.
Tu avais le choix dans ton format?
Oui, les éditions Akileos sont très libres pour ce qui est du format. J'aurais pu faire l'album en 46-68-70 pages, mais j'ai voulu garder un format standard de 46 pages.
Le deuxième en fera peut-être plus.
Voudrais-tu réaliser un art-book de ton travail?
Oui. J'en aurais très envie. Si un jour j'en ai la possibilité ce sera un livre d'illustrations victoriennes, avec pourquoi pas des pin-ups du style victorien. Un peu comme le carnet de croquis à la fin de l'album.
Est ce que tu t'es inspirée d'amis pour la constructions graphique de certains personnages de "Clues"?
Il y a des clins d'oeils. On retrouve quasiment tout mon cercle d'amis proches dans cette bande dessinée.
Mais ce ne sont pas forcément des personnages qui parlent, plutôt des figurants. Un jour, un ami m'a demandé si une personne allait essayer de draguer le personnage féminin principal dans la bande dessinée. Je lui ai dit : "Oui, dans un bar". Il m'a alors répondu qu'il voulait que ce personnage ait sa tête.
C'est le seul à me l'avoir demandé.
Les noms de rues sont aussi des références à ce que j'aime bien. Il y a ainsi des références à Harry Potter, aux Hauts du Hurlevants, à Jane Eyre...
As tu visité Londres?
Oui mais c'était avant que le projet soit publié, malheureusement. J'y suis allée un mois après avoir eu les premières idées de "Clues".
Je regrette de n'avoir pas pris plus de photos et je n'ai pas eu l'occasion d'y retourner depuis, mais je vais essayer tout de même d'y aller à nouveau.
Qu'est ce qui t'a plu dans le style Victorien?
J'aime bien ce côté Vintage. J'aime le contraste entre les endroits très "Charles Dickens" avec les gens dans la rue et le côté très "haute société". La place de la femme dans cette société m'intéressait. J'ai d'ailleurs placé la bande dessinée à une époque charnière où la femme commençait gentiment à gagner son indépendance. Mais je ne voulais tout de même pas faire une bande dessinée feministe.
Le titre "Clues" qui signifie "indices" en anglais t'es venu tout de suite?
Non, très tardivement. Il y a un an et demi, j'ai vu l'affiche du remake de la panthère rose avec l'inspecteur Clouseau. Je réfléchissais au nom de l'inspecteur quand le nom "Clues" m'a paru évident pour mon histoire.
Tu avais d'autres titres avant?
Oui, mais ils n'étaient vraiment pas bons (rires). Il y avait "La renarde" qui devait être le surnom de l'héroÏne, idée que j'ai finalement abandonnée. Durant longtemps, le projet a eu ce titre provisoire, mais je savais qu'il allait changer.
Je ne voulais pas que le titre se réfère à un seul personnage, car les deux personnages principaux sont tout aussi important l'un que l'autre.
Y-a-t-il des scénaristes ou des dessinateurs avec qui tu aimerais travailler?
Oui, quelques un. J'ai apprécié "Miss Endicott", donc j'aimerais bien travailler avec le scénariste Jean Christophe Derrien.
J'aime beaucoup aussi ce que fait Fabien Vehlmann sur "Green Manor". Ces histoires sont toujours savoureuses.
Mais pour l'instant, "Clues" me prend énormément de temps, c'est un peu difficile de songer à cela.
En plus je ne me sens pas assez cultivée en bande dessinée par rapport à d'autres auteurs, donc je ne pourrais pas dire maintenant "C'est avec cette personne que je voudrais collaborer!".
Que penses tu de la production de bande dessinée actuelle?
Je trouve qu'il y a trop de bandes dessinées. Une bande dessinée qui sort n'a pas le temps d'être vue en librairie. Il y a aussi le côté "On reprend une recette qui marche". Il y a énormément de copié-collé sans saveurs. Le marché est envahi d'ersatz de bandes dessinées qui ont eu un succès.
Il est dommage que certains éditeurs se ferment de plus en plus aux jeunes auteurs. C'est dur d'arriver avec son projet sans avoir fait ses preuves ailleurs.
"Clues" as-t-il eu le succès que tu attendais?
C'est au-delà de mes espérances. Je suis tellement restée en autarcie avec mon projet que je ne savais pas si ce que je faisais aller plaire aux autres.
Je ne m'attendais pas à recevoir des mails, des fan-arts de gens qui ont aimé la bande dessinée.
Ça m'a fait très, très plaisir. C'est très motivant.
Il y a bien sûr aussi des mauvaises langues qui ont dit que j'avais plagié "Sally Lockhart" de Philip Pullman. J'ai effectivement ce livre dans ma bibliothèque, mais je n'ai lu que les vingts premières pages : cela ne m'a pas plu.
Il y a eu une mauvaise chronique dans Bodoï et ce fut la seule dans toutes les revues officielles.
Es tu très attentive aux remarques sur internet?
Oui. J'étais très curieuse. Ma première chronique était celle de "Bulle d'encre" et était vraiment positive.
Beaucoup de gens venaient aussi me dire ce qu'ils pensaient de mon travail sur mon blog.
C'est important pour toi, le blog?
Oui. On rencontre des lecteurs qui au final ont les mêmes goûts, les mêmes références. C'est aussi pour cela que j'aime les dédicaces.
Le blog m'a permis aussi d'avoir leur avis sur certaines choses, comme par exemple la couverture. J'ai mis différentes recherches et ensuite j'ai travaillé, travaillé jusqu'à ce qu'il y ait plus d'avis positifs.
As tu rencontré d'autres auteurs via le réseau des blogs?
Oui, j'en ai rencontré pas mal. C'est assez incroyable de rentrer dans leurs univers.
As tu d'autres projets que le "steam punk"?
Je fais pas mal d'illustrations pour des affiches. Je démarche des magazines pour faire des petites illustrations dedans. J'ai un projet plus "Tim Burtonesque", dans l'esprit du film "L'étrange Noël de monsieur Jack". J'aimerais aussi faire quelque chose d'humoristique avec des anecdotes du quotidien, comme sur certains blogs. Des scénaristes m'ont aussi proposé des scénarios.
Serais tu tenté par une série animée pour "clues" par exemple?
Oh oui! Si on me le propose je ne dirais pas non! (rires)
Sinon travailler sur un dessin animé, je ne sais pas car je me sens bien dans le milieu de la bande dessinée. Pourquoi faire les décors d'une série pendant trois mois? Il faut voir en fonction de ce qu'on me propose. Mais pour l'instant je n'ai pas le temps de démarcher pour ce genre de choses.
Si tu étais un personnage de bande dessinée, lequel serais tu?
Evey de "V for Vendetta".